La révolte en centre Bretagne va trouver un chef dans un notaire issu des classes populaires : Sébastien le Balp2,7

Volonté législative et réformatrice

Les revendications des Bonnets rouges, tout autant antifiscales que politiques, sont exprimées par huit textes appelés Code paysan ou « code pesovat » (ar pezh zo vat : ce qui est bon) qui montrent une volonté législative et réformatrice du mouvement des Bonnets rouges8. Ces codes sont bien écrits non pas en breton mais en francais et selon une forme juridique. Or Le notaire Le Balp a étudié le droit à Nantes...

Parmi les revendications, on note :
  • l’abolition des impôts de champart (partage des récoltes) et de corvée9,
  • la fin des exactions des seigneurs10
  • l'affirmation de la liberté armorique : c'est ainsi que les Bretons de l'époque appelaient leurs privilèges en vertu du traité d'union de la Bretagne à la France
  • le juste paiement du clergé (qui ne devra être "payé pour leurs services, et seulement pour cela")9
  • la représentation réelle dans les états provinciaux10,
  • l'égalité et l'abolissement des classes…9

la révolte est aussi, et surtout antiseigneuriale

Faits d'armes et actes de révolte des Bonnets rouges

Dans une lettre du duc de Chaulnes à Colbert : "La campagne s’agite Monseigneur, tout va très vite. Il ne s’agit plus de tabac. Les paysans sont attroupés en quelques lieux autour de Quimper Corentin. La ville est menacée. Paraît-il, leur colère est plus tournée vers les gentils Hommes que vers l’autorité du Roi. Il est certain que la noblesse a traité fort durement leurs paysans. Ils ont rendu à quelques uns les coups de bâton qu’ils en avaient reçus. Ils ont exercé envers 5 ou 6 de grandes barbaries. Ils ont pillé leur maison et incendié quelques unes. Au manoir de Cosquer en Combrite, M. de Kersalaun ne s’en remettra point."
Il est à noter que les révoltés du Pays Bigouden (sud-Ouest de l'actuel Finistère) avaient un bonnet bleu. On parlait dans ces paroisses de révolte des Bonnets bleus.

Le duc de Chaulnes poursuit dans sa lettre "Leur misère est si grande que l’on doit beaucoup appréhender les suites de leur rage et de leur brutalité. La misère les a provoqués à s’armer autant que les exactions de leurs seigneurs et les mauvais traitements qu’ils en avaient reçus, tant par l’argent qu’ils en avaient tiré que par le travail qu’ils leur avaient fait faire continuellement."3

Un des bourgeois de Carhaix témoigne que Sébastien Le Balp s'était "acquis une telle réputation parmi les paysans révoltés [...] qu'il s'était fait passer pour le chef, que lesdits révoltés suivaient entièrement ses ordres pour sonner les tocsins, pour s'attrouper et s'assembler où il voulait, que pendant la sédition, il a été le premier en tête, à tous les incendies, pillages et désordres"2.

Le 9 juin 1675, à Châteaulin, des paysans en armes s’en prennent au marquis de La Coste, lieutenant du roi pour la Basse Bretagne, venu maintenir l’ordre et faire exécuter les nouveaux édits sur le tabac et le papier timbré qui servait à rédiger les actes notariés. Dans trente paroisses des alentours le tocsin retentit pour appeler à la rébellion2.

Le samedi 6 juillet, un groupe de paysans et d’artisans conduits par Sébastien Le Balp, attaque la résidence de Claude Sauvan, fermier des devoirs à Carhaix (collecteur d’impôts). Au cours de l’expédition, un commis est tué, les bureaux sont dévastés, des tonneaux sont défoncés, la vaisselle, les meubles et la recette sont emportés, puis la maison est incendiée.

De Gonville, commissaire des guerres, écrit à Louvois, ministre des armées : "Il n'y a, Monseigneur, nulle sûreté par la campagne, il n'y a que les plus proches de Brest où le calme est"2.

Le duc de Chaulnes, en attendant les renforts, quitte Rennes et se réfugie à Port Louis (56) 2.

Le 11 juillet 1675, ils sont près de 6000 insurgés dans la région de Saint-Hernin et Kergloff à prendre d’assaut et bruler le château du Seigneur Toussaint de Trévigy, connu pour sa dureté contre les paysans2.

Position ambigüe des Montgaillard

Le comte de Boiséan, gouverneur de Morlaix, ne s'y trompe pas en écrivant, le 26 juillet, au marquis de Montgaillard : "Je crois que s'y pouviez gagner leur chef ou lui faire couper la gorge, tout ce parti se réduirait en fumée". 

Le marquis de Montgaillard qui entretient des rapports ambigus avec les insurgés, était en effet arrivé à les dissuader de marcher sur Morlaix (aidé par marquis de Névet le 25 juillet 22-a). Certes, une nouvelle ville serait à nouveau ralliée aux Bonnets rouges, mais en fragilisant la défense du port de Morlaix la marine "hollandaise" pourrait accoster, la lutte anti-fiscale et antiseigneuriale deviendrait une lutte ouverte contre le roi qui était en guerre contre les "hollandais". Le Balp ne prit pas la décision de marcher sur Morlaix27.

Attention, de nombreux écrits indiquent que Le Balp avait conçu le projet de s'emparer de Morlaix pour favoriser la venue des hollandais dont la flotte, sous le commandement de l'amiral De Ruyter, croisait sur les côtes, et qu'à la fin de la révolte, certains insurgés se seraient échappés sur les navires hollandais. Or la flotte hollandaise, depuis son entrée dans la Manche n'a pas perdu de vue les côtes anglaises et, d'après les archives du gouvernement hollandais, rien ne fait soupçonner de la part de l'amiral, la moindre intention de prêter main-forte à Le Balp, soit à Morlaix, soit dans un autre port breton, d'autant que la flotte n'en était encore qu'au pas de Calais le 31 août et elle a mouillé devant Douvres (2-5 septembre)23-a. (il n'y a donc pas non plus concordance des dates).

Néanmoins, Sébastien Le Balp ne rompt pas ses relations avec le marquis de Montgaillard. En effet, les insurgés savent que des troupes royales sont en route pour la Bretagne. Pour avoir une influence sur le roi et éventuellement  résister aux troupes royales, il est évident qu’il faut un homme apprécié du roi et un professionnel de la guerre2. Or Charles de Percin, marquis de Montgaillard, fut Colonel du régiment de Champagne et officier des Mousquetaires du roi6. Le roi l'a remercié  le 28 mars 1671 en élevant les Montgaillard au rang de marquis. De plus, Charles de Percin n'était pas hostile aux revendications des révoltés5 qui contestaient les nouveaux impôts, notamment une nouvelle taxe sur les papiers timbrés et Sébastien Le Balp, leur chef, avait été le notaire de son épouse Renée-Mauricette de Ploeuc, marquise du Tymeur5. Le Balp espérait convaincre le marquis Charles de Montgaillard de plaider leur cause auprès du roi et de les conseiller militairement pour résister aux troupes royales demandées par le duc de Chaulnes4,12.

Sébastien Le Balp est tué au château de Tymeur à Poullaouen

Arrivé au manoir du Tymeur le 2 semptembre 1675 au soir, avec 2000 hommes, Sébastien Le Balp s'isole pour s'entretenir avec les marquis Charles et Claude de Montgaillard et tenter de les rallier à leur cause2,4

Laissant les marquis au manoir, Le Balp rejoint ses hommes et fait sonner le tocsin. 30 000 hommes  se mettent en marche dans le but de se regrouper le soir du 3 septembre à Poullaouen. Le Balp compte ensuite marcher sur Carhaix et Quimper, puis s'il le faut, affronter les troupes du duc de Chaulnes qui venaient d’être envoyées en Bretagne pour mater la rebellion2.

Le Balp revient au manoir du Tymeur dans la nuit du 2 au 3 septembre 1675. Mais le frère ainé de Charles, Claude de Montgaillard, fidèle au roi Louis XIV qui l’a fait marquis quatre ans plus tôt (1671), tue par surprise Sébastien Le Balp d'un coup d'épée à travers le corps. Les marquis de Montgaillard parviennent ensuite à s'enfuir du manoir en semant la confusion chez les Bonnets rouges décontenancés par la mort de leur meneur.2,4,12,5

En représailles du meutre de Le Balp, le manoir du Tymeur en Poullaouen et ses archives sont pillés  et en partie brulés 2,4,12,5.

Privé de leur chef, les 30 000 hommes qui se concentraient à Poullaouen selon le plan prévu, se dispersent4...

Dans le même temps, les troupes qu'attendait le duc de Chaulnes arrivent en Bretagne. Le 1 er septembre, elles sont à Quimper, du 4 au 18 septembre dans le Poher, fief de Le Balp, le 20 septembre à Morlaix, le 12 octobre, elles rentrent dans Rennes

En l'absence de rébellion organisée, les troupes royales ne se voient opposer que peu de résistance. Pour les habitants des paroisses et des villes qui s'étaient révoltées, en revanche, c'est le début d'une longue répression par les troupes royales2.


Bibliographie

  • Yann Brekilien, Prestiges du Finistère, éd. France-Empire
  • Yann Brekilien, Histoire de la Bretagne, éd. France Empire, 2004 (grand nombre d'éditions antérieures sur 30 ans) (ISBN 270480947X)
  • Alain Croix, « La révolte des bonnets rouges : De l'histoire à la mémoire », in Ar Men (nº 131, novembre-décembre 2002)
  • Alain Croix, « Bonnets rouges, une révolte rurale », in canal-u.tv (réalisation en 1997 par Patrice Roturier)
  • Yvon Garlan, Claude Nières, Les Révoltes bretonnes. Rébellions urbaines et rurales au XVIIe siècle, Nières éditions Privat, Toulouse, 2004
  • Claude Péridy, Sang bleu & Bonnets rouges, Le meurtre du marquis de Montgaillard, Edition Keltia graphic Kergwenn 29540 Spézet, 2007
  • Armand Puillandre, Sébastien Le Balp - Bonnets Rouges et papier timbré, Éditions Keltia Graphic - Kan an Douar, Landelo-Speied, 1996
  • Secher, Reynald/ Le Honozec, René (éds.) (1991, 2e édition 1999): Histoire de Bretagne. 1532-1763. tome 4, Noyal-sur-Vilaine, Éditions Reynald Secher, coll. Mémoire du Futur

Notes et références

  1. Site de la Mairie de Kergloff en 2010 http://www.kergloff.fr/cadre1histoire.htm
  2. Erwan Chartier Page consacrée aux Bonnets rouges
  3. Alain Croix, Professeur d'histoire moderne "Bonnets rouges, une révolte rurale" in canal-u.tv (réalisation en 1997 par Patrice Roturier)
  4. Yann Brekilien "Histoire de la Bretagne" p237 à 239
  5. Montgaillard (Tarn-et-Garonne) marquis, époux de la marquise de Ploeuc en Tymeur voir paragraphe "Personnalités liées à la commune"
  6. L'ouvrage officiel de la famille Percin, dont les descendants ont fait paraître la dernière mise à jour en février 2002, sous le titre La Famille de Percin... de la bataille d'Hastings à nos jours
  7. Site de la Mairie de Carhaix en 2010 : "Carhaix des origines à nos jours" page 6

  8. Le code dit «paysan» (1675) : traduction du breton du"Règlement fait par les nobles habitants des 14 paroisses".
  9. Sophie Desplanques, Journaliste "1675. La révolte du papier timbré"
  10. Le traité d'union de la Bretagne à la France en 1532
  11. Claude Péridy, "Sang bleu & Bonnets rouges, Le meurtre du marquis de Montgaillard" p40
  12. Madame de Sévigné, décembre 1675 in La Borderie, t. 5, p. 531
  13. Yvon Garlan, Claude Nières, "Les Révoltes bretonnes. Rébellions urbaines et rurales au XVIIe siècle" Nières éditions Privat, Toulouse, 2004
  14. Secher, Reynald/ Le Honozec, René "Histoire de Bretagne. 1532-1763. Tome 4"
  15. Wikipédia Révolte du papier timbré paragraphe "Les transactions"
  16. Wikipédia Révolte du papier timbré paragraphe "L’image des Bonnets rouges de nos jours">
  17. Alain Croix, « La révolte des bonnets rouges : De l'histoire à la mémoire », in Ar Men (nº 131, novembre-décembre 2002)
  18. Site Internet de la Communauté de communes du Poher, projet Cantana : les mots clés du Poher 4. Bonnets Rouges, paragraphe "Mémoire et héritage des Bonnets rouges"